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Focus Ipsos/SPF 2025: pour les jeunes Français, l’épreuve de la précarité

Mis à jour le par Olivier Vilain
Aux jeunes, qui allient souvent études et travail, la société ne propose pour beaucoup que l’épreuve de la précarité ©P. Montary / SPF

Niveau de vie, privations, angoisse, les jeunes Français voient les promesses de progrès social s’éloigner. À ces jeunes travailleurs, qui allient souvent études et travail, la société ne propose pour beaucoup que l’épreuve de la précarité.

Quinze ans après son premier sondage montrant la précarité grandissante de la jeunesse, le Secours populaire français a voulu donner à nouveau un coup de projecteur sur les conditions de vie des 18-34 ans. Les bouleversements liés à l’apparition du Covid-19, aux fluctuations de l’inflation et aux promesses non tenues de progrès social se lisent dans ce nouveau focus réalisé par Ipsos* : leurs conditions de vie sont plus dures et plus précaires que celles de leurs aînés.

50 % des jeunes se déclarent mécontents de leur niveau de vie

En 2025, 50 % des jeunes Français se déclarent mécontents de leur niveau de vie, notamment en ce qui concerne le montant de leurs revenus et leur autonomie financière. Par comparaison, ils étaient 33 % en 2010 (même si la méthodologie différente des deux sondages ne permet pas une comparaison terme à terme, l’importante progression entre les deux résultats permet de souligner une tendance).

Cette première donnée, massive (un jeune sur deux), se traduit par l’augmentation constante des demandes d’aides de la part des 18-25 ans auprès des bénévoles du Secours populaire. Sur le plan national, ils représentent désormais 13 % des personnes soutenues, un chiffre à rapprocher des 1,3 million de Français de 18-29 ans qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Les conditions de vie des 18-34 ans sont plus dures et plus précaires que celles de leurs aînés ©C. Da Silva / SPF

Ce mécontentement massif à l’égard de leur niveau de vie est nourri par les privations quotidiennes que les jeunes rencontrent. Faute de moyens suffisants, près d’un jeune Français sur deux (48 %) rencontre des difficultés à se procurer une alimentation saine et équilibrée. Cette contrainte a considérablement augmenté ces dernières années : en 2010, 29 % des répondants avaient du mal à se nourrir en quantité et en qualité suffisantes. Alors qu’en 2010, le Secours populaire avait encore peu d’antennes spécialisées dans l’accueil des étudiantes et des étudiants, aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 40 fédérations départementales du Secours populaire qui en disposent d’au moins une ; et toutes proposent un soutien alimentaire.

Tout aussi révélateur, mais moins souvent mis en lumière, les privations portent beaucoup sur les loisirs et les activités culturelles : 56 % des jeunes Français sont obligés de se restreindre ou de s’en passer alors que ces pratiques sont nécessaires à l’épanouissement, au bien-être, ainsi qu’à l’inclusion sociale de ces classes d’âge afin qu’elles prennent toute leur place dans la société construite par leurs aînés. Comment situer ce chiffre ? La tendance est, là aussi, à la hausse car cette proportion, bien que déjà élevée, affectait moins (44 %) la jeunesse tricolore en 2010.

44 % se déclarent mécontents de l’accès au système de santé

La santé est un besoin vital, comme la nourriture, mais contrairement à cette dernière, le coût du système médical est largement mutualisé à travers le continent afin de faciliter l’accès de la population aux soins. Néanmoins, 44 % des jeunes Français se déclarent mécontents de leur accès au système de santé. Le renoncement aux soins est lié aux actes médicaux mal remboursés mais les jeunes sont aussi trop peu informés du fonctionnement du système de santé.

Des campagnes d’information seraient bénéfiques, tout comme le développement de programmes de prévention afin d’éviter aux jeunes, à l’âge où ils deviennent autonomes, l’adoption de mauvaises habitudes qui auront un impact sur leur santé au cours de leur vie. Un constat de carence qui n’est pas sans rapport avec le retrait des infrastructures de soins de proximité (dans l’enseignement, au niveau des communes ou dans les entreprises).

Le Secours populaire se rend sur les campus pour apporter de l’aide directement aux étudiants, une population très précaire ©P. Montary / SPF

Si on s’intéresse maintenant aux jeunes qui poursuivent des études supérieures, les conditions restent largement précaires. En France, un étudiant sur trois (34 %) dispose d’un emploi rémunéré en parallèle de ses études, malgré le risque documenté d’échec aux examens que cela représente. Cela donne un aperçu des contraintes économiques qui pèsent sur eux. Plus significatif encore : une partie importante est à la recherche d’un job étudiant, si bien qu’au total 60 % des jeunes en études supérieures travaillent durant leur cursus ou sont à la recherche d’un emploi rémunéré leur permettant de subvenir à leurs besoins durant leurs formations.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant d’apprendre que 43 % des étudiants français déclarent vivre dans une situation difficile. Loin de la représentation de la jeunesse dorée qui est traditionnellement associée à la population étudiante, cette enquête confirme les remontées du terrain dépeignant la situation préoccupante.

1 jeune sur deux exprime un fort sentiment d’angoisse

Confrontés à la précarité au moment où se décide, tant individuellement que collectivement, une grande partie de leur place dans la société, les jeunes ont du mal à envisager l’avenir sereinement. De plus, les situations qu’ils traversent, tant sur le plan économique que social, affectent leur bien-être et leur santé mentale : 50 % d’entre eux expriment un fort sentiment d’« angoisse » en pensant à leur situation actuelle et à leur avenir ; et plus d’un jeune sur cinq se dit même « désespéré », une proportion alarmante.

Une lueur d’espoir dans ce panorama des plus sombres, les jeunes appartiennent à une génération qui se dit prête à s’engager, que ce soit à travers des pétitions (75 %), des dons matériels (73 %) ou financiers (60 %). Surtout, un sur deux se déclare tenté par l’engagement dans une association de solidarité (52 %), de préférence à un syndicat ou un parti politique (moins de 1 sur 3).

* Enquête réalisée par Ipsos auprès de 1 000 Français, représentatifs de la population nationale âgée de 18 à 34 ans. La représentativité des échantillons a été assurée par la méthode des quotas. Interviews réalisées en ligne du 26 mai au 6 juillet 2025.

Moments d’insouciance à Cabourg

400 étudiants et jeunes travailleurs d’Île-de-France et du Calvados ont passé une journée à la plage, profitant de la joie d’être ensemble, loin des soucis et des privations.

Le jour du premier grand départ en vacances de juillet, 400 jeunes habituellement privés de vacances ont pris la route pour une Journée Bonheur à Cabourg. La plupart est venue en cars d’Île-de-France, d’autres ont fait le trajet avec des bénévoles du Calvados. À quelques mètres des villas raffinées construites à la Belle Époque, les étudiants et les jeunes travailleurs se sont éparpillés joyeusement le long de la plage. Baignade, jeux de ballon, parties de cartes ou balades en petit train dans le centre-ville de la cité balnéaire étaient au programme de ce grand bol d’air.

Aide alimentaire, dons de vêtements, loisirs : tout au long de l’année, le Secours populaire s’active auprès des jeunes, une population particulièrement en prise avec la précarité. Pour rien au monde, Inès et sa colocataire Charline n’allaient manquer cette journée sur la côte Fleurie.

Entre, d’un côté, un master à Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines en administration de la santé, de l’autre, un travail dans l’administration de l’université, et le manque de moyens, « on a peu de loisirs et jamais de vacances », médite Charline, 24 ans.

La joie de se retrouver au grand air, loin des tracas quotidiens

« Des vacances, ça fait 4 ans qu’on n’en a pas pris ni l’une ni l’autre », complète Inès, qui a deux ans de plus. Comme elles, 56 % des 18-34 ans disent sacrifier leurs loisirs faute de moyens, selon l’étude spéciale jeunes réalisée cette année par Ipsos pour le Secours populaire.

À quelques pas des deux amies, Mélissa non plus n’a pas voulu manquer l’occasion de venir sur le littoral. « Dans ma situation, c’est rare de voir la mer », souligne la jeune fille de 18 ans, qui est encore en terminale et vit dans une famille aidée par le Secours populaire. Durant le voyage en car, elle a sympathisé avec Katia, une assistante maternelle de 22 ans. Mélissa et Katia ont piqué une tête dans la Manche avant même le déjeuner. « C’est un peu froid », rapportent-elles en chœur. Pour mieux se réchauffer, les deux copines se sont fondues dans un groupe pour jouer au foot et au frisbee, entre la dune et les vagues ; avant de s’étendre sur leur serviette de bain.

Elles dégustent un repos bien mérité à quelques mètres de Charline et d’Inès. Ces dernières, comme 60 % des étudiants, sont contraintes de travailler pendant leurs études ou sont à la recherche d’un job à exercer à côté des heures passées à la fac (Ipsos / Secours populaire 2025).

« La bourse reste complètement insuffisante pour s’en sortir, même à l’échelon maximum de 630 euros par mois », relève Inès, la peau sombre, les cheveux noirs et soyeux, le sourire discret et bienveillant. Quand la bourse d’études s’interrompt l’été, elles doivent travailler comme caissières ou dans la restauration rapide pour compenser. « Nous sommes cantonnées à ce qui est considéré comme ‘‘le sale boulot’’ », une notion que l’étudiante a vue en sociologie du travail et qui désigne une activité professionnelle peu considérée et mal payée.

« Dès le mois de mars, l’angoisse monte : il faut trouver à tout prix un job pour les trois mois d’été », confie Charline, le teint clair, le visage animé par des taches de rousseur et des yeux profonds et rieurs. « Et encore, il nous faut faire 35 heures par semaine afin de mettre suffisamment d’argent de côté pour parer aux dépenses de l’année et, surtout, aux imprévus », ajoute Inès sous le regard approbateur de son amie.

Bourse, travail d’appoint et jobs d’été

Même avec une bourse, un travail d’appoint et des jobs d’été, « avoir de quoi s’habiller reste compliqué », lance Charline, quand il faut payer un loyer élevé, s’acheter de quoi manger et faire face aux factures. « On finit chaque mois au ras des pâquerettes », ajoute Inès.

Devant elles, mais tout à la droite de la grande plage de sable fin, se succèdent toute la journée des ateliers de yoga. À chaque fois, une vingtaine de jeunes forment un grand cercle et, à chaque fois, Sharon, son animatrice, encourage les participants à se relâcher en riant pour clore la séance. Elle donne l’exemple. Bientôt, la bonne humeur se transmet de proche en proche et le fou-rire est général. Encore hilare, Amina se relève. Ce n’est pas tous les jours que cette étudiante, qui ne vit plus chez ses parents, se sent aussi légère : à 21 ans, elle doit régulièrement aller chercher de quoi manger au Secours populaire.

Pourtant, Amina se démène, comme Inès et Charline. Une fois l’année universitaire achevée, elle travaille, elle aussi, tout l’été en tant qu’aide à domicile pour subvenir à ses besoins. « Cela suppose de porter très régulièrement des personnes âgées pour faire leur toilette et je paie ces mouvements répétitifs au niveau du dos. » Amina a donc particulièrement apprécié la séance de yoga qui vient de se terminer : « Je me sens complètement décontractée, soupire-t-elle d’aise. En quelques minutes, mes muscles sont redevenus souples. Je n’ai plus mal du tout. »

Après le pique-nique fourni par le Secours populaire, Charline et Inès estiment avoir suffisamment profité du farniente. Elles se joignent à un groupe de jeunes pour visiter la Villa du Temps retrouvé. Derrière la façade blanche ornée de croisillons en briques brunes, la maison de maître accueille les œuvres des peintres normands de la Belle Époque, période de l’apogée de Cabourg. Un siècle plus tôt, les bourgeois parisiens qui s’y donnaient rendez-vous chaque été pouvaient entendre résonner les pas de Marcel Proust. L’auteur du cycle d’A la recherche du temps perdu a puisé sur place une partie de son inspiration qui a révolutionné la littérature.

De retour à la plage, les deux étudiantes vont se baigner

Dans la villa, la guide qui s’occupe du groupe a concocté une visite à la fois instructive et décontractée. Elle aborde des thèmes qui résonnent avec les préoccupations des jeunes : les inégalités hommes / femmes à travers un petit film de la pionnière du cinéma muet Alice Guy, ou le colonialisme à travers les récits de Pierre Loti dont la villa expose de nombreux portraits. « J’ai félicité la guide pour sa présentation », souligne Inès, enchantée par cette visite comme la plupart des participants

Sur le chemin qui les ramène vers la plage, les deux étudiantes décident d’aller se baigner. En marchant, elles continuent d’évoquer leurs conditions de vie et leur impact sur leur santé. « Arrivée en fin d’année, on est épuisée – cours, partiels, emploi à la fac, job d’été –, ça n’arrête jamais ; et en plus, on n’a pas le droit à l’erreur : hors de question de redoubler, sinon la bourse saute », rage un peu Charline. Continue, la pression est aussi intense, tout comme la sélection au cours de leur cursus : parties avec 200 autres jeunes en licence, Inès et Charline sont arrivées en master avec seulement 18 autres étudiants.

Les deux amies sont d’accord : la santé mentale chez les 18-34 ans est un sujet à prendre très au sérieux, mais le nombre de thérapeutes détachés auprès des universités est « très, très, insuffisant ».

Beaucoup vivent mal le passage de la cellule familiale à un studio de 10.mètres carrés et l’isolement qui en découle. D’autant que ce n’est pas simple de s’assumer quand la situation administrative n’est pas complètement réglée et que le compte en banque crie famine. « C’est d’autant plus usant que la situation est instable et qu’il faut toujours anticiper les galères », synthétise Charline.

« Beaucoup sont fragiles ou ont des idées noires »

Le travail administratif à l’université des deux colocataires inséparables les confronte tous les jours à la précarité des autres jeunes. Elles y accueillent les étudiants qui ont du mal à payer leur loyer, à manger ou à se soigner. « Beaucoup sont fragiles ou ont des idées noires », confie Inès. Les deux collègues vérifient si les étudiants disposent de toutes les aides auxquelles ils ont droit et les orientent pour régler leurs différents problèmes, souvent administratifs.

« La situation des étudiants français est assez compliquée, mais 75 % des demandes que nous recevons viennent d’étudiants étrangers dont les moyens sont encore plus limités », pointe Charline. Ces derniers ne peuvent compter sur l’aide d’aucune famille sur place et leurs parents ont souvent dû se saigner pour payer les frais d’inscription qui s’élèvent pour eux à 7 000 euros. Cette grande précarité explique que de nombreux jeunes étrangers, étudiants ou travailleurs, soient présents à Cabourg pour cette Journée Bonheur. Le soir, ils repartent tous avec le même sourire arboré par Charline et Inès à leur sortie de la mer : « Ça fait un bien fou ! »

Quinze ans après son premier sondage sur la précarité grandissante de la jeunesse, le Secours populaire a voulu donner à nouveau un coup de projecteur sur les conditions de vie des 18-34 ans : leurs conditions de vie sont plus dures et plus précaires que celles de leurs aînés.

19e Baromètre Ipsos / Secours populaire – Focus jeunes