Se faire du bien en écrivant

L’art et la culture rapprochent. Au centre-ville de Digne-les-Bains, le Secours populaire propose des ateliers d’écriture depuis deux ans. Ce qui a donné lieu à un petit carnet d’écriture reprenant les textes produits par les participants. Dans cet espace, ces derniers – venant du quartier, qui est classé prioritaire, ou de plus loin – se mélangent. « Assister à ce petit miracle, ça fait du bien, ça fait plaisir », confie Hélène, son animatrice.
Un épais carnet d’écriture * accompagné de dessins aux couleurs vives est posé sur la table. La particularité ? Il n’est pas l’œuvre d’une seule personne mais de tous les participants à l’atelier d’écriture du Secours populaire de Digne-les-Bains, une petite ville située à une centaine de kilomètres d’Aix-en-Provence. Deux fois par mois, les bénévoles accueillent en centre-ville, 26 rue de l’Hubac, en face du tatoueur, une dizaine de participants qui embarquent l’après-midi pour deux heures trente d’aventures avec les mots.
« L’idée de publier un recueil de textes ne m’est pas apparue tout de suite, souligne Hélène, la bénévole qui a ouvert l’atelier il y a deux ans. Les textes produits par des gens qui nous ressemblent et pas des écrivains étaient tellement intéressants qu’il fallait les mettre en valeur. Je voulais que les mots nés entre ces murs s’envolent vers d’autres lecteurs ». « Le carnet met en valeur cette expérience d’éducation populaire que constitue l’atelier d’écriture : un groupe partage ses savoirs et produit du lien », souligne pour sa part, Sylvie Brousse, la secrétaire générale du Secours populaire des Alpes-de-Haute-Provence.
Bénévoles, personnes aidées et voisins
L’atelier est ouvert à tout le monde. On entre de plain-pied par une porte vitrée qui donne sur la rue piétonne qui serpente entre les maisons à l’architecture de montagne, étroites et accolées. L’atelier met en lien des bénévoles, des personnes aidées et des habitants du quartier… « Ici, riches et pauvres, tout le monde est à égalité. Ici, on partage du temps et de l’émotion entre personnes qui sinon ne se seraient sans doute pas rencontrées ailleurs », lance Hélène. Se croisent Christian, ancien informaticien qui s’est lancé dans l’animation de café philo une fois à la retraite, Danielle, 60 ans, qui est à la recherche d’emploi, ou Dominique, cheveux bouclés gris, qu’un accident avait empêché de venir pendant une partie de l’année dernière. Il est de retour et très assidu : « J’adore. Je fais 30 minutes de voiture pour venir d’Estoublon. »
L’accueil est soigné avec thé ou café pour tout le monde. Certains participants amènent « des petits trucs à grignoter ». Aujourd’hui, c’est un cake à la poire fait par Annick, membre de la commission culture du Secours populaire, et des orangettes maison amenées par Hélène. A chaque séance son thème, sa figure de style et un auteur dévoilé.

Aujourd’hui, Catherine, pull bleu, écharpe en soie turquoise avec motifs, Sophie, qui a gardé son bonnet gris avec pompon, et une dizaine d’autres participants ont découvert aujourd’hui le thème proposé : « Art et écriture, quand l’art visuel et l’écriture ne font qu’un. » L’animatrice propose de suivre ce thème en travaillant sur le haïku, ce poème d’origine japonaise extrêmement bref, né au 17e siècle. « Il s’agit d’une juxtaposition d’images guidée par l’émotion et pas par la logique, qui évoque la nature en trois vers, un court, un long, un court. »
Hélène donne un exemple : « Un vieil étang. Une grenouille qui plonge. Un bruit d’eau. » Elle montre aussi un tableau de Paul Klee, sur lequel le peintre a composé un haïku. « Si le découpage en trois vers de 17 syllabes en tout est trop dur, vous intervertissez un vers court, un long, un court – d’accord ? », insiste-t-elle pour enlever toute timidité. « Pour les syllabes, on compte tout ce qu’on entend ? », demande Danielle. L’animatrice acquiesce et en profite pour faire un point sur le ‘‘e muet’’ : « S’il est placé à la fin d’un mot, il ne se prononce pas, il est muet, sauf dans le cas où il est suivi par un mot commençant par une consonne. » Elle donne un exemple. « Ah mais, ici en Provence, le ‘‘e’’, on le prononce », réplique Danielle en plissant les yeux pour souligner la plaisanterie.
Un climat de confiance a été instauré
Une fois les consignes expliquées, les participants cherchent l’inspiration et leurs mots. Puis, au bout de 10 minutes, ils posent le crayon et commencent à lire, tour à tour, leur texte, « pour le plaisir » de le faire partager mais aussi pour l’enrichir des conseils et des questionnements échangés. Chacun écoute et réfléchit aux différentes approches.
Annick, pull en laine bleu et vert, se lance. Elle lit son haïku qui parle de pleines lunes et d’insomnie, « parce que je ne dors pas les nuits de pleine lune », précise-t-elle. L’exercice a inspiré tous les participants qui évoquent une « grotte sombre » (Sophie), un « ciel qui rougit » (Christian) ou un « arc-en-ciel qui inonde l’horizon » (Dominique). Les questions fusent. Les bénévoles se sont attachés à instaurer un climat de confiance dans lequel chacun peut évoquer des souvenirs personnels, des éléments qui le touchent, en sachant que personne ne sera jugé. « C’est un équilibre. On fait circuler de la bienveillance, mais je fais aussi en sorte que personne ne soit emporté par l’ambiance à confier des choses qu’il regretterait après. » Des liens se tissent en fonction des affinités. Des amitiés naissent, un couple s’est même formé.

Les artistes le savent bien, écrire en suivant une contrainte n’entrave pas la créativité mais au contraire la stimule en servant de fil d’Ariane aux pensées. « On utilise beaucoup le travail sur la forme et les jeux d’écriture pour libérer l’expression », explique Hélène. « Je me lance comme n’importe quel participant. Je suis une animatrice d’atelier, ce n’est pas un cours. On est là pour passer un bon moment autour de l’écriture » et ressortir enrichi d’une nouvelle expérience.
La petite équipe tourne la page des haïkus et poursuit le thème du jour avec les calligrammes, un poème dans lequel les mots dessinent une forme graphique illustrant son sujet. Les bénévoles font circuler des calligrammes qu’elle a sélectionnés, dont l’un du poète Guillaume Apollinaire, leur inventeur. « Y a pas plus simple : vous dessinez votre profil, votre main, etc., puis vous remplissez avec du texte. » Christian se lance : « J’ai dessiné mon autoportrait de manière très simple. » Catherine a dessiné un très beau visage avec des mots qui racontent l’atelier d’écriture : « J’aime beaucoup écrire, ça me fait du bien : je rêve et je m’apaise », confie-t-elle.
Échanger, apprendre de soi et des autres
De son côté, Sophie a dessiné sa silhouette et parle de son corps qui a affronté un cancer. « J’ai de la chance, je suis en rémission, mais j’ai bien cru mourir. » Elle devra attendre encore quelques années avant de reprendre son travail de femme de ménage.« J’ai beaucoup appris sur moi en venant ici. Mon esprit s’apaise petit à petit. Grâce à Hélène et aux autres, j’écris, je vois que les gens sourient quand je lis ce que j’ai écrit. Donc, je suis contente. »
Dans cette salle mise à disposition par la mairie, le Secours populaire propose des ateliers pour confectionner des objets de vannerie ou de récupération. Les murs blancs sont décorés par les dessins des enfants qui viennent écouter les histoires de « la valise à livres ». « C’est important de proposer des activités où les gens peuvent échanger, apprendre des autres et s’échapper du quotidien », observe Sylvie Brousse, du Secours populaire. Certains participants de ces ateliers, venus juste parce qu’ils habitaient le quartier, sont depuis partis avec le Secours populaire à une journée pour les femmes ou dans un séjour de vacances.
Avec des moyens qui restent limités, la fédération des Alpes-de-Haute-Provence réalise ces ateliers qui dépassent les besoins élémentaires comme l’alimentaire. « Cela montre que chacun peut être acteur de la solidarité et que les bénévoles la mettent en mouvement », relève Sabine Hernas, membre du comité national du Secours populaire, qui accompagne la fédération dans ses projets : « Petit à petit, ce mouvement produit des changements dans la société. »
* L’objet est en vente à la fédération du Secours populaire. Le produit de la vente servira à financer des actions de solidarité.
18 RUE GEORGES AUBIN, 04000 DIGNE-LES-BAINS – 04 92 36 03 13
