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ENTRETIEN – « A Mayotte, le retour à la normale sera très long »

Mis à jour le par Olivier Vilain
Mayotte. Distribution. Pastille purification eau.
L'Association des étudiants et des jeunes de Mayotte distribue des pastilles de purification d'eau fournies par le Secours populaire ©AEJM / SPF

L’Association des étudiants et des jeunes de Mayotte (AEJM) est l’un des partenaires locaux du Secours populaire. Son directeur Saïd Mohamadi revient sur le soutien qu’apporte le Secours populaire. Il fait aussi le point sur la situation après la catastrophe du cyclone Chido alors que l’île vient de subir la tempête tropicale Dikeledi durant trois jours.

Mayotte a souffert depuis le passage du cyclone Chido et avec les inondations de la tempête tropicale Dikeledi intervenue la semaine dernière. Quelle est la situation sur place ?

Nous venons de sortir de l’alerte rouge, après les trois jours de la tempête tropicale Dikeledi. Tous les commerces et les stations-service ont été à nouveau fermés préventivement. Cette fois, l’île a été fortement touchée dans le sud. D’importantes inondations y ont provoqué des glissements de terrain. Par endroits, les routes sont totalement hors d’usage. Cette tempête tropicale a fait moins de sinistrés que le cyclone passé avant, mais les dégâts sont quand même importants, car beaucoup d’habitations avaient déjà été fragilisées par le cyclone Chido. Ma génération n’avait jamais imaginé vivre un événement climatique aussi intense. C’est pire que ce qu’ont vécu nos parents et nos grands-parents, il y a 40 ans. Tout le monde a été affecté. Dans bien des cas, les gens ont perdu tous leurs biens.

Deux missions du Secours populaire se sont rendues sur place. Comment agissez-vous ensemble ?

Nous avons rencontré les membres des deux missions du Secours populaire. Ils nous ont confié des pastilles pour potabiliser l’eau des rivières, cinq téléphones mobiles pour appeler les 2000 étudiants et apprentis que nous suivons habituellement. Cela nous a permis d’effectuer nos évaluations sociales et de garder le lien avec eux. Le Secours populaire nous a confié des stations Starlink* pour avoir une connexion internet par satellite, en attendant la réparation du réseau terrestre. Il va aussi nous approvisionner en denrées alimentaires et en batteries solaires que nous acheminerons aux étudiants du nord de l’île.

Nous avons mené des évaluations sociales auprès des étudiants et des apprentis. Nous avons multiplié les appels téléphoniques, ainsi que les maraudes sur le terrain pour aller à la rencontre des jeunes que nous n’arrivions pas à joindre. Effectuer cette tâche sur un territoire sinistré nous a pris du temps, mais c’est désormais réalisé. Nous allons procéder aux distribution de kits alimentaires et des produits d’hygiène auprès des jeunes et de leurs familles.  

Comment allez-vous garantir aux jeunes la poursuite de leurs études ?

Nous envisageons plusieurs solutions. L’une d’elles est la mise en place d’une permanence mobile pour aller auprès des sinistrés car il n’existe pas de transport en commun sur l’île. Nous nous servirons d’une camionnette aménagée en épicerie solidaire et dans laquelle nous pourrons aussi mener des entretiens individuels afin d’orienter les jeunes vers d’autres services sociaux si besoin. Nous allons aussi renforcer notre équipe en recrutant une conseillère d’insertion professionnelle et une travailleuse sociale. Nous envisageons aussi de mettre sur pied des cours de soutien pour que les jeunes puissent rattraper au moins une partie des cours auxquels ils n’auront pas assisté cette année. Une fois le retour à la normale assuré, nous allons reprendre notre mission de prévention santé et d’accueil de jour à la maison des étudiants, où nous proposons un accès à Internet et à des professionnels de l’accompagnement social.

La rentrée a été une première fois repoussée au 20 janvier. Mais nous venons d’apprendre par le rectorat qu’elle est reportée sine die à cause de la fragilité des bâtiments endommagés. D’autre part, une semaine avant leur réouverture programmée, les écoles hébergeaient encore un grand nombre de sinistrés. Le temps d’évacuer tout le monde et de préparer les locaux dans le temps imparti était impossible.

Comment la vie s’organise au quotidien ?

Tout reste très compliqué. L’électricité, malgré les renforts dépêchés depuis la métropole, n’est pas encore remise sur tout le territoire, en particulier dans le nord de l’île. Téléphone et Internet sont dans la même situation. Les usines de potabilisations sont endommagées, leur production a diminué alors qu’elle était déjà insuffisante avant Chido. Les services de l’État importent une grande quantité d’eau et la distribue gratuitement à travers les CCAS et des associations. Seulement à raison de deux bouteilles par personne et par semaine. C’est très insuffisant, surtout qu’il fait très chaud.

Les gens font des heures de queue aux supermarchés, du lundi au dimanche, pour prendre deux packs d’eau par personne. Certaines enseignes, ainsi que les petits commerces, que l’on appelle ici « Doukas », qui veut dire « boutiques » en Mahorais, ont augmenté leurs prix de vente. Vendu 2 euros à la Réunion, le pack d’eau atteint 7 euros une fois arrivé à Mayotte. Une telle augmentation est également observable pour le riz, l’aliment de base, car toute l’agriculture est détruite dans l’île. Les familles ne pourront pas s’appuyer sur ce qu’elles font pousser dans leur jardin et devront tout acheter au supermarché.

Quelles sont vos inquiétudes pour l’avenir proche ?

Nous avons besoin de nous vêtir et de manger. Or, malgré l’importance du volume d’aides fournies par les ONG, les besoins ne sont pas couverts. Il ne faudrait pas croire que l’ensemble des problèmes seront réglés une fois qu’auront été réglés l’accès à l’eau ou à l’électricité. Nous vivons dans un territoire sur lequel tout est problématique : c’est le plus pauvre des départements français ; et de très loin. Reconstruire en dur, c’est long, c’est cher et, pour le moment, les matériaux manquent. La reconstruction doit se faire progressivement, de manière concertée, mais sur tout un ensemble de secteurs.

* Starlink est un service d’internet satellite conçu par SpaceX pour connecter les utilisateurs résidentiels, itinérants et professionnels.

Seconde mission du Secours populaire : le bilan

Du 6 au 11 janvier, une seconde délégation du Secours populaire s’est rendue à Mayotte. La mission a fourni aux partenaires de l’association plus de 60 000 pastilles pour purifier l’eau et des systèmes de connexion satellitaire.
Des accords ont été passés avec les centrales d’achats de l’île pour apporter aux partenaires mahorais près de 2200 kits d’hygiène et des serviettes périodiques pour 500 femmes.
Afin de soutenir la reprise de l’agriculture vivrière dans le nord de l’île, la délégation a apporté du petit outillage (débroussailleuses, tronçonneuses…) à une cinquantaine d’agriculteurs, ainsi que près de 80 000 semences* de tomates, d’aubergines, de maïs doux, de melons et de pastèques.

* actualisation du 24.01.25

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