Didier, en galère après sa carrière

Mis à jour le par Olivier Vilain
Didier. Mobile home. Retraite. Poêle.
Didier, assis à la table de son mobile home, dans la résidence des Bréviaires, près de Paris. Il se tient devant un Bouddha et son poêle à bois ©Nathalie Bardou / SPF

Ancien du BTP et de la restauration, Didier n’est pas pauvre au sens strict. Mais après une vie de travail, il galère à la retraite : une fois ses factures payées, il ne lui reste que 200 euros et doit aller à l’antenne du Secours populaire du Perray-en-Yvelines, à 5 km de chez lui, pour chercher de quoi manger, « sinon je ne pourrais pas ».

Sur le pont d’une vedette pour la pêche au gros, d’un blanc étincelant, un homme à la peau halée pose fièrement, droit comme un i et le visage barré d’un sourire triomphant : il tient fermement dans sa main un filin, tout droit tiré de l’océan Indien, au bout duquel est lourdement suspendu un énorme marlin, dont le nez effilé le fait ressembler à son cousin l’espadon. « J’étais plus jeune, plus mince et plus moustachu », s’amuse Didier en montrant son album photos, assis dans son mobile home.

Pas sous le seuil de pauvreté au sens strict et monétaire

Désormais sans moustache et le cheveu ras, l’homme est resté jovial et curieux une fois à la retraite. A 67 ans, il occupe désormais tout l’espace du fauteuil dans lequel il s’est assis, enveloppé dans une veste de jogging. Par contraste avec les années fastes où il parcourait les mers du Sud, il déplace désormais son corps imposant en s’appuyant sur une béquille « par sécurité depuis mon AVC ». Derrière ses lunettes fines, son regard vif croise parfois celui que posent sur lui les statues de Bouddha et de Ganesh qu’il a disposées un peu partout dans son salon. « Souvenirs de mes années passées à l’île Maurice ».

« Un café ? Un thé ? » Didier reçoit dans un intérieur modeste de 35 mètres carrés, entouré d’un carré de verdure suffisant pour garer sa Renault Modus et y disposer deux cabanes de jardin ; l’une pour stocker les outils, l’autre pour servir de buanderie (voir le reportage sur les habitants des mobile homes près de Rambouillet). Avec ses 1400 euros de pensions par mois, Didier ne vit pas, au sens strict, sous le seuil de pauvreté. En tenant compte des départements d’outre-mer, des personnes qui vivent en caravane ou les mobile homes, en hébergements collectifs (cité universitaire, EHPAD), ainsi que les personnes sans-abri, l’Insee a établi que 11,2 millions de personnes en France vivaient en dessous de ce niveau, fixé à 1 216 euros par mois pour 2024. Parmi elles, 2 millions sont âgées de plus de 60 ans. Beaucoup de ces retraités pauvres perçoivent encore moins, le minimum vieillesse plafonnant à seulement 1012 euros.

Didier, dans l’allée, à l’extérieur de son mobile home, dans la Résidence des Bréviaires, près de Paris, où des dizaines de familles vivent à l’année. Parmi elles, plusieurs sont bénéficiaires du Secours Populaire, mercredi 20 novembre 2024 ©Nathalie Bardou / SPF

Avec l’équivalent d’un SMIC, Didier est très loin du stéréotype qui a couru les colonnes des journaux et les émissions de télévision selon lequel les « seniors » seraient des « privilégiés », dont le niveau de vie serait supérieur aux actifs les plus jeunes. L’auteur d’un essai sur l’équité entre générations résume cette thèse qui revient souvent dans la presse : « La préférence française pour les vieux existe, elle est réelle, juge Frédéric Monlouis-Félicité. Cela fait trois ou quatre décennies que notre société a fait un choix collectif en faveur des seniors. Aujourd’hui, on a un système politique qui fait de la redistribution intergénérationnelle à l’envers. »

Il le fallait. Les disputes, ça n’est pas bon pour moi

Didier expliquant son choix de quitter le domicile familial

Sur le plan statistique, ce qui fait la différence de niveaux de vie entre actifs et retraités tient principalement à ce que ces derniers sont plus nombreux à posséder leur logement. Didier est dans ce cas, du moins juridiquement. Il reçoit ses visiteurs et ses proches dans le mobile home qu’il a acheté, il y a quatre ans. Mais, chaque mois, il rembourse 750 euros de crédit, qui servent aussi à payer l’emplacement dont il est devenu propriétaire dans un ancien camping-caravaning, en bordure de forêt, à 15 km de Rambouillet, au sud des Yvelines. Le mobile home s’est imposé à lui quand il s’est éloigné de sa dernière femme. « Il le fallait. Les disputes, ça n’est pas bon pour moi. » Ni pour personne, surtout après un AVC et une vie mouvementée.

Quand les températures baissent, le réseau électrique du quartier saute. Donc, il faut le poêle. Il faut toujours avoir des solutions de rechange

Didier, qui montre son poêle à bois

Les jours ont raccourci et les premiers frimas sont venus. Le givre a fait son apparition, le matin, sur la pelouse et aux coins des fenêtres. S’il fait bon dans le salon de Didier, c’est que ce parfait bricoleur a effectué des travaux d’isolation à son arrivée et qu’en hiver il charge le poêle à bois, dont les flammes se reflètent sur la paroi du réfrigérateur qui lui fait face. « Quand les températures baissent, le réseau électrique du quartier saute, dit-il, faisant s’agiter autour de son cou sa chaîne et le crucifix doré au bout. Donc, il faut le poêle. Quand on vit en mobile home, il faut toujours avoir des solutions de rechange. »

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Pour avoir du bois, c’est le système D. « Je ne pourrais pas en acheter, vous avez vu le prix d’un stère ? » Jamais à cours de solutions, le retraité s’est mis d’accord avec un ami artisan. Il lui adresse des personnes qui ont besoin de réaliser des travaux. En retour, ce dernier lui apporte régulièrement, dans de grands sacs, les chutes d’une scierie, située à proximité. « Que voulez-vous, quand on a travaillé dans le commerce, c’est qu’on aime le contact ! » Et les échanges de bons procédés.

Les charges fixes sont élevées. Didier paie 75 euros d’électricité par mois. Malgré ce montant élevé, il en est réduit, certains matins bien froids, à se demander si « tout va disjoncter » en allumant sa cafetière. Il faut ajouter à cela 120 euros de charges locatives chaque mois et encore 80 pour sa voiture, sans oublier la mutuelle, des assurances, son abonnement téléphonique et à Internet.

Aidé par le Secours populaire mais il aide à son tour

Des dépenses dont Didier tient le compte strict. Une fois payées toutes ses charges, il ne lui reste plus que 200 euros. « Je vais chercher de quoi manger au Secours populaire, sinon je ne pourrais pas », dit-il sans colère. Même si Didier n’apparaît pas dans les statistiques, sa vie quotidienne est quand même sur un fil avec la très forte inflation de ces dernières années.

Pour remplir ses placards, Didier va à l’antenne du Secours populaire du Perray-en-Yvelines, à 5 km environ. Toujours prêt à aider, il y conduit chaque semaine d’autres habitants de mobile homes qui n’ont pas de véhicule. Le plus souvent, il s’agit de sa voisine Tatiana. « Il faut s’entraider dans notre situation, souligne le retraité qui a mis pour sortir un superbe chapeau de chasse en feutrine vert bouteille, avec plume de faisan. Quand je fais une petite chose pour aider, ça remplit ma journée. »

Didier dans la chambre dépouillée de son mobile home, dans le sud des Yvelines. Les deux convecteurs électriques sont allumés car les températures venaient juste de baisser. ©Nathalie Bardou / SPF

Lorsqu’il arrive à l’antenne, les bénévoles le saluent joyeusement. « Tu manges des crevettes, Didier ? », lui demande Corinne. Oui, oui, il mange de tout. « Les beaux navets nouveaux, ça te dit ? », intervient une autre bénévole. Des navets ? Mais, bien sûr. « Tu as besoin de quelque chose d’autre ? », lui demande Corinne, en regardant le gros sac qu’il vient de remplir. « Quelque chose d’autre ? », reprend le retraité : « Non, rien, à part de l’argent ! », lance-t-il, plissant ses yeux. Grand éclat de rire des bénévoles et de Didier. Ça fait du bien de rire.

S’il n’arrive pas à joindre les deux bouts, ce n’est certainement pas parce qu’il n’aurait pas assez travaillé. Il n’a pas cessé depuis son entrée en apprentissage à 16 ans. « J’ai fait énormément de métiers. » Né dans une famille tenant un restoroute dans l’Eure-et-Loir, il a commencé dans l’électricité ; mais s’est rapidement tourné vers la restauration avec ses parents. Lorsque le restoroute a fermé, il a vendu des poulets à la broche sur les marchés, tout en exerçant en même temps dans le BTP. 

Didier a travaillé depuis l’âge de 16 ans, dans plein de métiers

« Dans ce domaine, je sais tout faire, tout ! », sourit-il. Pendant cinq ans, il a même conduit sur sa vedette de 12 mètres de riches touristes adeptes de la pêche au gros autour de l’île Maurice, aime-t-il à se rappeler en jetant un œil aux photos qu’il a ramenées. Revenu en France, il a terminé sa carrière comme agent de maintenance dans une commune à quelques kilomètres de là.

Avec le Secours populaire, Didier est aussi parti en vacances, il y a deux ans. « Inoubliable ! C’était inoubliable ! », se rappelle-t-il. Ses mots fusent quand il évoque la semaine passée à visiter les marchés de Noël en Alsace. C’est une expérience dont il aime se souvenir. « Le plaisir dans la vie, c’est échanger, apprendre tous les jours – un mot, quelque chose, un rien… mais tous les jours. » Des paroles de sagesse qui se détachent devant le sourire de Bouddha et sous le regard de Ganesh, tous deux placés sur la commode derrière cet autodidacte.