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Vacances dans la « vallée du Bonheur »

Mis à jour le par Olivier Vilain
Enfant saut joie vacances Cévennes
Dès la première grande étape du séjour, le mont Aigoual, un grand vent de liberté s'est mis à souffler @M. Baldi / SPF

Des câlins entre parents et enfants, des rires, des jeux improvisés, du grand air, du soleil, des séances de dessins et de grands yeux écarquillés. Ce sont les instantanés de légèreté que les invités du Secours populaire dans le Gard garderont de leur séjour de vacances dans la vallée du bonheur, dans les Cévennes.

Les bénévoles ont organisé trois séjours de trois jours du 8 au 14 juillet. Rabia, Claude, Florence et Catherine ont sorti le grand jeu : voyage en car dans le parc régional des Cévennes, nuitée en centre de vacances, étapes culturelles (visite du musée du climat, d’un élevage de bisons, de la rivière souterraine de l’abîme de Bramabiau…).

Ces séjours ont été rendus possibles par un important legs de près de 300.000 euros. « Nous avons tout de suite décidé que nous allions utiliser cette somme dans les séjours de vacances, sur les années à venir, parce que nous sommes en général limités par le coût des séjours », se rappelle avec satisfaction Fabienne Lauron, secrétaire générale de l’association dans le Gard : 150 personnes de tout le département étaient invitées, dont beaucoup de femmes seules avec leurs enfants, la catégorie sociale la plus précaire de toutes.

« Sans voiture, impossible de venir dans les Cévennes. »

Nazila est l’une d’entre elles. Venue avec ses filles Lina, 6 ans, et Neyssa, 4.ans et demi, toutes deux absolument ravissantes, elle explique : « On ne peut pas partir en vacances. Je percevais 400 euros d’allocations familiales, jusqu’en mai dernier. Une fois réglés mon loyer et mes factures d’électricité, il me restait 40 euros. » Depuis, la trentenaire perçoit en plus le RSA, « mais ma voiture est en panne et la faire réparer me reviendrait trop cher. Alors sans voiture, impossible de venir ici », même à deux heures de route de Nîmes, dans le parc des Cévennes.

Le département du Gard est pauvre. Le Secours populaire y aide 15 000 personnes, dont la moitié à Nîmes et les communes aux alentours. À proximité, La Grande-Combe est une ancienne ville minière où près d’un actif sur deux est au chômage. « Nous aidons même les gens dont les revenus dépassent les minima sociaux, parce qu’ils travaillent mais n’arrivent plus à couvrir leurs frais quotidiens », indique Fabienne.  « Et quand vous êtes étranger, c’est pire car vous ne trouvez pas de boulot. »

Fabrice enfants détente vacances
Moment de détente. Après une journée de soleil intense et un grand bol d’air, Fabrice se lâche devant le centre de vacances @M. Baldi / SPF

Le car s’est arrêté sur le mont Aigoual, un site magnifique où les vacanciers ont pique-niqué tout en admirant la mer au loin, les anciens volcans du Massif central au nord, les Pyrénées à droite et les Alpes à gauche. Pascaline et Fabrice sont venus avec 4 de leurs 6 enfants. Après la visite, Pascaline a hissé Jade, 4 ans, sur le pilier d’un parapet. La mère fait des chatouilles sur le ventre de sa fille dont les cheveux roux sont attachés avec un chouchou vert. La petite rit aux éclats.

« Prendre l’air, faire découvrir la nature aux enfants, ça me plaît », raconte Pascaline qui habite à Mantelle, un petit village à 15 minutes de Nîmes. Le couple et leurs enfants ne partent en vacances que tous les trois ans, voir de la famille à Bordeaux. « Cette année, nous les recevons, après nous verrons quand on pourra y aller. » En ce moment, Pascaline compte chaque euro car Fabrice, ouvrier boulanger, est en arrêt de travail depuis deux mois. « Faire la pâte, lever le plateau, enfourner le pâton, puis retirer le pain chaud… Répéter et répéter ces mêmes gestes tous les jours pendant des années, ça m’a déclenché des douleurs dans l’épaule », explique Fabrice.

Pascaline ne travaille pas non plus. Il y a plusieurs années, elle a contracté une fibromyalgie, une maladie invalidante qui n’est pas reconnue comme telle par la Maison départementale pour les personnes handicapées, « parce que je peux encore marcher »… Quand ses filles iront toutes à l’école, elle reprendra les heures de ménage mais pas avant sinon « tout ce que je gagnerais partirait dans le prix de leur garde. »

Pascaline et Fabrice savourent cette sortie en pleine nature

La quarantenaire est habituée aux boulots durs : « Je n’ai pas le permis, ça ne m’a jamais empêché de faire les trois huit. Je suis allée pendant des années à vélo à Beaucaire pour travailler à l’usine de vins et de sirops. Je mettais une heure pour y aller et une autre pour en revenir. » Elle a commencé à l’âge de 15 ans par faire les saisons : maïs, pommes de terre, melons, pêches, pommes, fraises, « cerises qu’il faut cueillir avec la petite fleur, la queue et au bon calibre sinon c’est une pénalité ». Elle a même travaillé, enceinte, dans la restauration.

Pour le moment, tout cela est très loin : dans les Cévennes, Pascaline et Fabrice savourent cette sortie en pleine nature avec leurs enfants. Après la visite du Climatographe du mont Aigoual, un ancien observatoire météorologique devenu un centre de sensibilisation au changement climatique, les familles découvrent Le Pont du Moulin, leur résidence de vacances au fond de la vallée où coule la rivière appelée Le Bonheur. « En raison de ce cours d’eau, toute la vallée s’appelle la vallée du Bonheur, un nom prédestiné », s’amuse Florence, qui s’assure que tout le monde ait sa chambre. Le bruit de l’eau est omniprésent, il dresse une barrière invisible qui met à distance la vie quotidienne des familles.

Dîner réfectoire vacances
Ancienne cadre hospitalière, Catherine est bénévole dans l’équipe vacances du Secours populaire. Toute l’équipe est aux petits soins @M. Baldi / SPF

Ces dernières s’installent. « Oh, j’aime notre chambre, le petit balcon, la douche », s’exclame Lina – sous les yeux de sa mère qui s’est assise à proximité de la rivière – entre deux galipettes sur la pelouse qui s’étend devant le bâtiment qui fait penser à ceux qu’on retrouve en bas des pistes de ski. La grande de 6 ans fait un concours avec sa petite sœur Neyssa, qui a plus de difficulté à rouler dans l’herbe parce qu’elle craint de prendre de l’élan pour passer ses jambes par-dessus tête.

Certains, comme Jean-Laurent, sa femme Édith et leurs trois enfants, vont visiter le village de Saint-Sauveur-Camprieu, juste à côté. Ils s’arrêtent au terrain de sport où les enfants du coin jouent au football. Partout, le long des routes de campagne, comme dans les ruelles encaissées, l’air vibre de l’odeur de l’herbe fraîchement coupée. « Je suis particulièrement contente d’avoir fait découvrir ce coin des Cévennes que j’aime tant. Ça me fait vraiment plaisir d’avoir partagé cela », se réjouit Catherine, cette ancienne cadre hospitalière à la retraite, devenue bénévole.

C’est l’heure de dîner. L’humeur est joyeuse, le léger brouhaha aussi. Au menu, une tarte de saumon en entrée, du riz accompagné de boulettes de viande avec une sauce tomate légèrement épicée. Les femmes apprécient de n’avoir qu’à se mettre les jambes sous la table. « Nous sommes servies comme des reines », dit l’une d’elles. « C’est comme au restaurant », lui répond sa petite-fille assise en face d’elle.

Tous les enfants s’endorment au rythme de la rivière

Après avoir dégusté en dessert de la tarte aux pommes, agrémentée de crème chantilly et d’un filet de caramel, les enfants se retrouvent autour des tables de camping plantées sur la pelouse au pied du bâtiment, en bordure de la rivière. Rabia est venue leur distribuer des cahiers de coloriage et vérifie que tous ont des feutres à disposition. Dans un grand calme, ils profitent de ce moment où l’ardeur des rayons du soleil s’estompe : ils continuent de faire connaissance tout en s’appliquant à dessiner.

Après cette journée bien remplie, les familles vont tour à tour se coucher, totalement apaisée. Les enfants s’endorment au rythme des petits graviers qui roulent entre les gros rochers dans le lit de la rivière. Ils rêvent déjà du troupeau de bisons qu’ils iront voir le lendemain.

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