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John, mort dans sa cabane du bois de Vincennes

Mis à jour le par Olivier Vilain
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Expulsé en mars 2019 et confiné dehors depuis, « John » a été retrouvé battu à mort deux jours après Noël. Ces dix-huit mois sans abri ont été fatals à cet ancien ébéniste, habitué à vivre modestement. Les bénévoles du Secours populaire, à Champigny, avaient tissé un lien très fort avec cet homme bienveillant et chaleureux.

Au cimetière de Champigny, le 21 janvier 2021, son frère, venu d’Angleterre, ainsi que les membres d’autres associations, comme Diamant d’Afrique ou Emmaüs, sont venus dire au revoir à « John ». Les bénévoles du Secours populaire sont venus plus tard. De son vrai nom « Ion Munteanu », John n’était jamais seul même s’il vivait dans l’obscurité d’un bois ; pas n’importe lequel, celui de Vincennes qui borde Paris, la ville lumière. « C’était notre mascotte », se rappelle, la voix embuée d’émotion, Malika, la responsable de la maraude du Secours populaire dans le Val-de-Marne. 

S’abriter dans le bois de Vincennes

Chaque mardi, son équipe avait l’habitude de terminer sa tournée « chez » lui, dans la cabane qu’il s’était construite. « C’était au dernier feu rouge en venant de Joinville-le-Pont, là où la direction ‘‘Vincennes’’ est indiquée. Il fallait s’enfoncer sous les arbres, à quelques mètres sur la droite », se souvient Nacera, qui est venue très souvent. John vivait là, au bord de l’autoroute A4 sur laquelle les autos filent vers l’Est, de jour comme de nuit.

Sous les arbres, l’ancien ébéniste avait aménagé un abri, avec des morceaux de bois, de tissus. « C’est propre chez moi. Y a pas de papiers, y a pas de cannettes, y a pas de caca. Je sors la poubelle tous les jeudis et tous les dimanches », avait-il lancé en montrant d’un geste circulaire l’aire devant sa cabane d’où le petit chemin, que ses allers et retours incessant avaient fini par tracer, serpentait au travers d’une quinzaine de piles de ferraille, de pneus, d’objets en tous genres récupérés dans les rues. Chacune d’elle était soigneusement recouverte d’une bâche bleue ou verte en guise de protection contre la pluie.


Même quand la pluie tombe, ils viennent m’apporter à manger et me disent toujours  »à mardi ! »

Ion Munteanu, dit  »John », mascotte de l’équipe de la maraude du Val-de-Marne


« Entrez, entrez », avait-il lancé, au seuil de sa cahute, pour accueillir une équipe de journalistes du Secours populaire venue pour l’interviewer, mi-novembre. À l’intérieur, l’odeur du bois se mêle à celle de la terre et le tout est faiblement éclairé et l’humidité maintient la température intérieure à un niveau proche de la température ambiante, pas très élevée en cette mi-novembre.

Son cocon est si exigu qu’il pouvait toucher les deux cloisons opposées en tendant les bras. Sur la gauche, son lit sur lequel repose un assemblage de couvertures et de duvets, prend toute la place, ou presque. Il reste moins d’un mètre carré pour placer le réchaud et ses pieds, juste à l’entrée. Ce soir-là, en passant la porte, l’homme de 63 ans avait enlevé la petite lampe frontale avec laquelle il se déplace dès la fin d’après-midi en hiver et avait mis une soupe à mijoter.

Apporter de la nourriture et de la chaleur humaine

« Le Secours populaire ne m’a pas laissé tomber, appuie l’homme à la barbe poivre et sel. C’est des ‘‘travailleurs’’ avec du cœur, même quand la pluie tombe, ils viennent m’apporter à manger. Et me disent toujours ‘‘à mardi !’’ » Pour les personnes sans-abri ou sans domicile fixe, le plus dur est de trouver de quoi se nourrir.


Débrouillard, ouvert, prévenant, "John", de son vrai prénom Ion, a laissé un souvenir chaleureux chez les bénévoles qui le côtoyaient.

Débrouillard, ouvert, prévenant, « John », de son vrai prénom Ion, a laissé un souvenir chaleureux chez les bénévoles qui le côtoyaient. 

"Le Secours populaire ne m'a jamais laissé tomber", disait John, même pendant le confinement. Il était aussi aidé par d'autres associations.

« Le Secours populaire ne m’a jamais laissé tomber », disait John, même pendant le confinement. Il était aussi aidé par d’autres associations.


Depuis le premier confinement, les bénévoles du Val-de-Marne ont mis sur pied une maraude hebdomadaire. Ils distribuent des chips, des viennoiseries, de quoi faire des sandwichs (sardines, thon, fromage…), de l’eau, des boissons chaudes (tisanes, café, soupes instantanées), mais aussi des vêtements chauds, des masques. « Ces distributions nous permettent d’entrer en contact et d’échanger, d’apporter de la chaleur humaine », explique Fred, le coordinateur départemental à la fédération du Val-de-Marne du Secours populaire.

Le Secours populaire a créé de nombreuses maraudes, ces dernières années. À Reims, les bénévoles ont été contraints d’arrêter pendant les confinements. Mais depuis la mi-janvier, ils donnent à nouveau rendez-vous trois fois par semaine aux personnes en grande précarité devant la gare. À Lille, les maraudes sont quotidiennes et viennent en aide à plus d’une centaine de personnes. Même chose à Nice, où les bénévoles apportent des colis alimentaires aux hôtels dans lesquels les sans-abris sont accueillis depuis le premier confinement.


Il aimait beaucoup lire Agatha Christie. On lui apportait des romans policiers quand nous en avions.

Sirine, bénévole au Secours populaire, est encore sous le choc.


« Plusieurs communes ont pris la mesure du danger supplémentaire que représente le confinement dans la rue par temps d’épidémie », confie Gérard, co-responsable de la maraude à Reims. A Paris, les tournées quotidiennes auprès des migrants, des hommes, des femmes et des enfants qui ne trouvent pas de place auprès du Samu social, le « 115 », représentent 6 000 heures de bénévolat par an. Au-delà de l’aide alimentaire, les bénévoles établissent des liens qui favorisent la réinsertion des personnes à la rue.

« Les bénévoles m’apportent régulièrement des boîtes de conserve, des petits pois, des haricots blancs, des saucisses, du pain, des gâteaux, des bouteilles de gaz, les recharges pour le téléphone portable. Tout ce qui faut pour faire la cuisine », indique John, en tournant une grande cuillère dans la soupe qui chauffe. « Il aimait beaucoup lire Agatha Christie. On lui apportait des romans policiers quand nous en avions », se souvient Sirine, 29 ans, qui avait noué une relation très forte.

La rue tue environ 3000 personnes par an

C’est là que son corps a été découvert. Il a été retrouvé mort, deux jours après Noël, le corps couvert de coups. Une autopsie et une enquête ont été ordonnées. Un mois après, l’équipe de la maraude est sous le choc. « Quand on a appris ça, on s’est dit ‘‘c’est pas possible’’. Je revois encore ses beaux yeux bleus », s’exclame Sirine. Elle était présente, avec onze autres bénévoles, à un moment d’échanges mis en place pour partager leur douleur. « La soirée du 24 que nous avions organisée pour les sans-abris, il s’était fait tout beau, on aurait dit un gentleman. Nous avions beaucoup discuté. Il était heureux. On sentait qu’il avait repris du poil de la bête, il voulait aller de l’avant », souffle Nacera, également présente. Elle pensait qu’il était en bonne voie pour se réinsérer avec l’aide des associations qui l’entouraient.

« Nous avons recensé John sous son vrai prénom ‘‘Ion’’ », indique Cécile Rocca, membre du collectif Les Morts de la rue. Chaque année, comme John, environ 600 personnes meurent à cause du sans-abrisme, « souvent de mort violente, agression ou suicide », selon le collectif qui organise une fois par an un mémorial éphémère pour sensibiliser l’opinion. Les Morts de la rue soulignent, par ailleurs, qu’une petite partie seulement des décès est recensée et que leur nombre réel est évalué à cinq fois plus, selon les études de population. Contrairement à John, la plupart des personnes qui meurent dans la rue sont totalement anonymes, laissant au mieux un surnom en souvenir aux riverains.


Tous mes objets, tous mes vêtements, à part ceux que j’avais sur moi, sont restés dans la maison et ont été jetés.

John décrit le jour où il a été jeté à la rue.

 


Avec sa barbe blanche et ses longs cheveux, John avait l’air d’un sage. Arrivé en France en 1992. Avant de survivre dans le Bois de Vincennes, il vivait dans une maisonnette avenue du Parc, à Champigny. « Au 70 », dit-il mécaniquement dans une vidéo tournée par le Secours populaire. Il en a été expulsé, il y a à peine 18 mois. « En mars 2019, une vingtaine de policiers sont venus pour m’expulser, moi une personne seule. Tous mes objets, tous mes vêtements à part ceux que j’avais sur moi, sont restés dans la maison et ont été jetés. » Normalement, depuis 2007, les expulsions ne peuvent avoir lieu sans alternatives… « Il n’avait pas trouvé de quoi se loger ensuite », souligne Sirine. Plutôt que de s’orienter vers les dispositifs d’hébergement, il s’était installé dans le bois de Vincennes.

A Nice, les maraudes sont régulières et apportent à manger mais aussi du réconfort à des dizaines de personnes hébergées ou à la rue.

A Nice, les maraudes sont régulières et apportent à manger mais aussi du réconfort à des dizaines de personnes hébergées ou à la rue.


« Il n’y a pas assez de logements abordables financièrement dans les grandes villes et les centres d’hébergement d’urgence de qualité sont saturés, en dépit de l’augmentation du nombre de places, explique Cécile Rocca. Et les personnes qui ont expérimenté les hébergements d’urgence à l’ancienne, avec remise à la rue au matin, ne souhaitent en général pas y retourner car ils perdent « leur » place dans la rue, leur réseau et cela les détruit plus que cela ne les reconstruit. Les gens ont besoin d’habiter plus que d’être hébergés. »

À cause du stress, John a fait un AVC le 25 mars dernier. Sa main droite avait été paralysée, mais à force de volonté, il en avait retrouvé le plein usage « en faisant les exercices tout seul avec les chambrières et des poids de 1 kg chez moi », disait-il en montrant la mobilité de ses doigts. Seule séquelle apparente, il n’avait pas retrouvé totalement la capacité à articuler comme avant. « Tous les jours, pour le sang et les vitamines, je prends3 cachets » ; qu’il prononçait « cachettes ».

Un toit coûte moins cher que de laisser les gens à la rue

Le nombre de personnes sans domicile fixe, hébergées, vivant en bidonville ou à la rue a triplé en vingt ans. Il atteint 300 000, selon les dernières estimations de la Fondation Abbé Pierre. Une tendance qui se réplique au niveau européen, en particulier depuis la crise économique de 2007 / 2010. Éviter le traumatisme de la rue est une question de droits, de dignité ; mais, de plus, les études montrent que cela n’a rien d’utopique. La Finlande et les expérimentations qui ont lieu dans certaines régions françaises montrent que de donner un logement pérenne aux personnes à la rue, les mettant ainsi à l’abri, leur permettant de se reposer, puis seulement ensuite de les entourer de travailleurs sociaux, donnent d’excellents résultats en matière de réinsertion. 

« Ce dispositif s’appelle Un Logement d’abord et permet de prendre soin des gens. Sa mise en place est extrêmement lente en France de manière peu compréhensible puisque cela ne coûte que 14 000 euros par an et par personne mise à l’abri, alors que la société va dépenser 30 000 par personne à la rue, soit en frais de santé soit en passage devant la justice », rappelle Chloé Serme-Morin, chercheuse à la FEANTSA, la Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-abri.


Personne ne mérite la violence de la rue. Si sa mort pouvait sensibiliser l’opinion publique

Sirine, en colère


Plus que les températures de l’hiver, les bénévoles de Champigny craignent que la fin de la trêve hivernale, à partir du 1er avril, provoque un flot d’expulsions, alors qu’une partie des ménages accumulent des impayés de loyers à cause de la crise économique née de la pandémie. En septembre dernier, le dernier baromètre de la pauvreté publié par Ipsos et le Secours populaire montrait qu’un quart des personnes interrogées avaient des problèmes pour s’acquitter du prix de leur logement.

Expulsé de sa maisonnette de Champigny, John finalement restera pour l’éternité. « Personne ne mérite la violence de la rue, s’émeut Sirine, qui est très favorable au dispositif Un Logement d’abord. Si jamais sa mort pouvait servir à sensibiliser l’opinion publique… »

Fournir un logement pérenne à une personne à la rue est une question vitale et de dignité. Cela coûte "seulement" 14 000 euros par an, contre 30 000 euros si elle est laissé à la rue.

Fournir un logement pérenne à une personne à la rue est une question vitale et de dignité. Cela coûte « seulement » 14 000 euros par an, contre 30 000 euros si elle est laissée à la rue. 

 

Don’actions : des moyens pour agir

Le Don’actions est la campagne de collecte du Secours populaire français. Les dons collectés nous donnent les moyens d’agir auprès des personnes en difficulté et de développer une solidarité de proximité en toute indépendance. Depuis 20 ans, le Don’actions apporte des fonds nécessaires au quotidien des antennes du Secours populaire.
Par exemple, il a permis d’acquérir à Reims une camionnette pour assurer une permanence mobile auprès des sans-abris. Ou à Cancon, dans le Lot-et-Garonne, il a permis d’acheter un réfrigérateur et un congélateur qui servent à stocker les produits frais distribués aux personnes accueillies.
Du 15 janvier au 25 mars 2021, les bénévoles vont redoubler d’initiatives et aller à la rencontre des donateurs et du public. Cette campagne a pour objectif de donner des moyens à l’association pour qu’elle puisse agir auprès des plus démunis. Nouveautés de l’édition 2020 : un dispositif digital et plus de 100 lots offerts par des personnalités.

Les maraudes apportent à manger et de la chaleur humaine. Mais toujours plus de personnes se retrouvent privées de chez soi.