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A la Meinau, les bénévoles accompagnent les enfants à la rue

Mis à jour le par Olivier Vilain
A la Meinau, 80 personnes dont 30 enfants vivent sous des tentes. ©Christophe Da Silva / SPF

Un camp de migrants est implanté tout autour de l’antenne du Secours populaire de la Meinau, à Strasbourg. Parmi eux, il y a une trentaine d’enfants, vivant sous les tentes, allant tant bien que mal à l’école. Les bénévoles ont mis en place toute une organisation pour qu’ils aient accès aux droits les plus élémentaires : manger, se soigner, accéder à l’hygiène. Et plus que tout, pour être écoutés et soutenus par des adultes bienveillants.

Beso, 13 ans. Ana-Maria, 3 ans. Nikolazi, 8 ans. Tous les trois vivent dans une tente, sur un coin de pelouse à Strasbourg. Il y a en France 3 000 enfants qui vivent à la rue, selon l’Unicef (rapport d’août 2023). Et il y en a toujours plus, comme à Strasbourg. « Nous sommes une ville-frontière, en face de l’Allemagne. Les migrants se réfugient ici. Ils posent leurs tentes à chaque bretelle d’autoroute ou dans les parcs. Il y a des adultes mais aussi des enfants », explique Claude, membre du secrétariat départemental du Secours populaire du Bas-Rhin.

C’est le cas en face du stade de la Meinau. Une nuée de tentes ont été posées tout autour d’un ancien corps de ferme, bâti autour d’une cour intérieure, où se tient tous les jours de la semaine une permanence d’accueil du Secours populaire. Elles sont installées sous les arbres qui bordent le cours d’eau jusqu’à la voie de tramway. Environ 80 personnes, dont une trentaine d’enfants, vivent dans ces conditions, entre les tentes et le local associatif. Elles viennent pour la plupart d’Europe de l’Est (Albanie, Roumanie, Biélorussie…), mais aussi de Syrie ou d’Éthiopie.

Ana-Maria et Nikolazi jouent près de leur tente. A gauche, les enjoliveurs qui servent de brasero. ©Christophe Da Silva / SPF

« Les familles se sont installées à l’automne dernier, puis ont été mises à l’abri dans le cadre du ‘‘Plan grand froid’’, en décembre, avant de réapparaitre le mois suivant, à l’arrêt du plan », rappelle Iryna, responsable de l’antenne du Secours populaire de la Meinau. C’est le cas d’Athanase, la soixantaine : « Mes papiers n’ont pas été renouvelés alors j’ai dû quitter l’hôtel dans lequel j’étais hébergé. Et je suis venu là, avec mon fils. » D’origine grecque, il a toujours vécu en Géorgie. Un pays dont vient la majorité des migrants autour de lui.

Un peu plus loin, quatre garçons et une fille jouent au milieu du campement. Ils courent. Rigolent. Tout autour, les adultes présents sont dans leur tente ou sous les auvents de toile qui servent de coin cuisine. L’un des garçons, Nikolazi, joue gaiement ; on ne pourrait pas deviner que la nuit précédente il a été pris d’une violente crise de fièvre. Sa mère, Natia, s’inquiétait de savoir si cela pouvait avoir un lien avec le fait qu’il se soit brûlé le pied droit une semaine avant. Le garçon se dirige vers ses parents et une autre famille qui s’abritent dans une même tente. Il s’arrête juste en face, sous l’auvent où deux enjoliveurs l’un sur l’autre servent de brasero, qui est éteint. « C’est là que je me suis brûlé. En agrippant une casserole en train de chauffer, je me suis renversé de l’eau chaude sur moi », raconte le garçon, dans un français hésitant, grimaçant au souvenir de ce mauvais moment. Il a été soigné à l’hôpital immédiatement après.

Se laver au lavabo

Assise auprès des enjoliveurs, sa petite sœur de 3 ans, Ana-Maria, joue avec un plastique, son visage rond tout barbouillé de terre. Sa mère se tient à proximité, dos à la rivière et aux filins qui courent d’arbres en arbres, ainsi qu’au linge qui y sèche. Elle discute avec son amie Sopiko, qui explique : « Pour nous laver, nous allons aux lavabos et utilisons des serviettes », dit-elle en montrant du doigt le local du Secours populaire dont les portes restent ouvertes sept jours sept. Pour l’eau, les adultes vont à un robinet mis à disposition par la mairie, au bout de la parcelle. « Quand il y a des hommes, on prend ces bouteilles – dit Natia, en indiquant celles qui sont stockées sous l’auvent. Sinon, on les charge sur la poussette. »  Il faut de grandes quantités pour les familles. Il faut pouvoir boire, faire la vaisselle et laver les vêtements. « On les savonne dans la rivière et on les rince avec l’eau qu’on a ramenée en bouteille. »

Les enfants du campement vont et viennent dans le local du Secours populaire. ©Christophe Da Silva / SPF

Il n’est pas facile d’avoir des vêtements impeccables dans ces conditions. « Plus que le froid, ce qui nous complique la vie, c’est la pluie, relève Sopiko. On ne peut pas empêcher les enfants de rester toute la journée dans une tente. Ils jouent dehors même quand il a plu et les vêtements se salissent très vite », avec la terre gorgée d’eau. Et comme il est compliqué de faire la lessive et de faire sécher les vêtements en plein air, parfois les enfants refusent d’aller à l’école pour ne pas paraitre comme une ‘‘bête curieuse’’.

« Dans ces moments-là, il y a une trop grande différence entre Nikolazi et les autres enfants. Ça lui est insupportable », raconte Athanase qui en parle souvent avec les parents. « Oui, quand mes vêtements sont sales, je ne veux pas aller à l’école », confirme le petit. Son école est à une demi-heure en tramway. Un long trajet pour lequel sa mère ou son père l’accompagne. Parfois, les enfants comme Nikolazi refusent d’aller à l’école par angoisse : tous les membres du campement sont sous une menace de reconduite à la frontière. Parfois, parents et enfants ont peur d’une intervention de la police pendant les heures de classe, craignant d’être séparés et de ne pas pouvoir se retrouver avant longtemps.

Soigner les enfants

Près de l’auvent, Beso, 13 ans, est assis sur une chaise en plastique. Sa mère, placée derrière lui, lui passe tendrement la main dans les cheveux. « Nous sommes venus en France parce qu’en Géorgie il ne pouvait pas être soigné correctement », dit-elle en ouvrant une épaisse pochette dont elle sort une liasse de certificats et de diagnostics concernant son fils unique atteint d’une déficience génétique, qui lui interdit de parler et le plonge régulièrement dans des crises de colère. Il a besoin d’être suivi par une dizaine de spécialistes et « les médicaments prescrits sont introuvables à Tbilissi », souligne-t-elle en rappelant que son métier est infirmière anesthésiste.

Ce samedi matin, c’est atelier de sensibilisation à la santé et à l’hygiène avec Iryna, Martine et Françoise (hors champ). ©Christophe Da Silva / SPF

Pour manger, les migrants ne disposent que des denrées mises à disposition par le Secours populaire. « Nous sommes ouverts sept jours sur sept », précise Iryna, qui vit en France depuis 2015. Elle a quitté son pays au moment où la guerre a éclaté dans l’est de l’Ukraine. Ainsi, le samedi matin, les membres du campement viennent se laver aux lavabos, se réchauffer autour d’un café, au rez-de-chaussée dans une salle où ils peuvent s’attabler et refaire le monde. Les migrants vont et viennent toute la journée. « Ils en profitent pour recharger leur téléphone portable. » Un atelier de dessin leur est proposé par Ninon, elle aussi Géorgienne. Les dix enfants réunis découpent en silence des papiers noirs en forme d’oiseaux et les assemblent en mobiles à accrocher. La plupart des ateliers sont organisés par des membres du campement, y compris le salon de coiffure solidaire et le club de céramique. « Ils sont très actifs et on peut vraiment compter sur eux », souligne Iryna.

En fin de matinée, une quinzaine d’enfants se rendent dans une grande salle au premier étage. Ils s’asseyent tous en rond pour un atelier de sensibilisation à la santé. Iryna prend la parole : « Qui peut me dire ce qu’est la santé ? Vous avez déjà entendu ce mot ? » Quelques téméraires prennent la parole, mais globalement la salle reste silencieuse. « Et être malade, c’est comment ? » Là, les réponses fusent : « Tu as le nez qui coule ! » ; « Tu peux pas te lever ! » ; « T’as mal à la tête ! » ; « Tu manques l’école ! » Iryna écoute, relance et résume les interventions. Elle propose ensuite que chacun dessine ce que c’est pour lui ou elle ce que peut être la santé. Jabil, 10 ans, dessine un bonhomme qui marche. Le chemin serpente jusqu’à… une maison.

La maison imaginaire

A côté de lui, Cémaïo, 10 ans aussi, dessine un gros chat, un bonhomme et… une petite maison. « Pour moi, la santé passe par ne plus habiter sous une tente », dit-il. Une fois que tous les dessins sont terminés – et commentés –, c’est au tour de Martine et Françoise, deux bénévoles venues prêter main forte à Iryna de présenter deux petits films très bien faits expliquant pourquoi il faut se laver les dents et les mains. Là encore, les enfants sont très attentifs. Les bénévoles les interrogent pour vérifier si tout a été compris et surtout comment les petits le transposent dans leur vie sans confort : « Alors, les dents, comment on en prend soin déjà ? »

Quand Iryna leur demande de se dessiner en bonne santé, un enfant sur deux l’illustre avec une maison. ©Christophe Da Silva / SPF

A la fin de la séance, qui a duré près d’une heure, les enfants repartent avec un petit kit comprenant dentifrice, brosse à dents, shampoing et savon ; ainsi qu’un paquet de chocolats. « C’est incongru à la suite de la séance, mais c’est aussi un petit plaisir pour ces enfants qui vivent quand même des choses difficiles », justifie Martine. Le reste de l’après-midi, quand Iryna ira sur le campement, tous les enfants lui parleront des chocolats et de leurs dents. « Regarde, regarde, je me lave les dents », l’arrête Sohane, 6 ans, brosse à dents en main. Le petit frotte énergiquement et est fier de lui montrer ses belles dents dans un grand sourire, entrainant Iryna dans un grand rire.

A côté d’eux, Nikolazi appelle le 115 de Strasbourg, car ses parents ne parlent pas français. Après beaucoup d’attente et une brève conversation, le petit raccroche : « Y a rien pour nous, pas une chambre. C’est comme ça tous les jours. »

A Strasbourg comme ailleurs, les bénévoles agissent auprès des enfants à la rue (ici à Clermont-Ferrand)

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