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Haïti : « Ici, c’est la misère noire »

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Une femme portant un sac de riz sur la tête passe devant un tas d'ordures en feu à Port-au-Prince (archive)
Une femme portant un sac de riz sur la tête passe devant un tas d'ordures en feu à Port-au-Prince (archive) @R.Arduengo / AFP

Devant la vague de malnutrition que traverse Haïti, qui est l’état le plus pauvre du continent américain, le Secours populaire débloque des fonds d’urgence auprès de trois de ses partenaires locaux, AHCM, ACEM Haïti et la Congrégation des petites sœurs de Sainte-Thérèse. L’un des membres de cette dernière, le frère Jean-Jeune Lozama, décrit les besoins humanitaires des réfugiés internes, qui fuient la capitale Port-au-Prince contrôlée par de violents groupes paramilitaires.

Vous vivez au sud de la capitale. Quelle est la situation sur place ?

J-J. Lozama : La situation devient très, très, difficile [voir l’encadré pour une mise en contexte]. Elle s’aggrave chaque jour : personne ne peut circuler à cause de l’extension extraordinaire des groupes armés, des paramilitaires, qui pillent et rançonnent. Leurs effectifs sont importants. Ils sont sans doute des milliers. Chaque coin de la capitale, Port-au-Prince, en compte, de même que certaines villes de province. Ces groupes font beaucoup de victimes, y compris au sein de la Congrégation des petites sœurs de Sainte-Thérèse. Un abbé a été kidnappé en janvier dernier et un autre a été blessé par balles au visage et au poignet. L’abbé est resté 9 jours, une très lourde rançon ; un véhicule a été volé.

Face à cette flambée de violence et d’insécurité, toutes les activités s’arrêtent, se mettent en pause ; comme à un moment l’école sur la commune de Rivière-Froide, que les bénévoles du Secours populaire connaissent pour y avoir mené des programmes de réhabilitation d’établissements scolaires, de santé et de raccordement à l’eau potable. 

Quel est l’impact de l’irruption des paramilitaires sur l’activité de votre congrégation ?

J-J. Lozama : Nous sommes implantés plutôt dans les zones rurales, qui sont plus tranquilles. Nous sommes plutôt dans le sud du pays, au-delà de Carrefour et de Port-au-Prince. Mais nous sommes forcément affectés. La Congrégation a tout arrêté sur la commune de Rivière-Froide depuis mars dernier, car les milices ont envahi la zone. Nous avons dû arrêter nos réunions, nos déplacements, nos visites aux missions. Nous en avons quand même vingt dans l’ensemble du pays, à Grand Bois, dans l’Artibonite, à Grand Plateau… Nous avons dans chaque mission une école primaire, secondaire et professionnelle. Les familles paient pour la scolarité et cet argent sert au fonctionnement de la Congrégation. Nous avons par exemple des ateliers de menuiserie pour former les jeunes aux ‘‘petits métiers’’, selon les vœux de notre fondateur. Il nous faut donc nous procurer des matières premières. Les écoles ne pouvant fonctionner ou fonctionnant moins qu’à la normale, cela a donc un impact économique.

Haïti. On distingue la capitale Port-au-Prince et Carrefour, deux communes en prise avec la violence des paramilitaires @openstreetmap

Comment allez-vous utiliser l’aide que va vous faire parvenir le Secours populaire ?

J-J. Lozama : La misère a encore augmenté avec la hausse des prix des produits de première nécessité : le sac de riz de 10 kg est passé de 3 500 gourdes à 6 500 gourdes [de 24 à 45 euros]. Chaque jour, ça augmente parce qu’une majorité des produits de grande consommation – savon, huile, riz, détergent pour lessive, spaghettis… – sont importés. Toutes ces importations passent par la capitale où les groupes armés ont mis en place des checkpoints tout au long des routes pour y percevoir une sorte d’octroi : à chaque fois que vous les traversez, il vous faut leur payer une ‘‘taxe’’. Une fois arrivés au sud du pays, les produits sont vraiment devenus très chers.

Ici, c’est la misère noire. Les gens ont du mal à trouver de quoi manger. Nous constatons, dans notre centre de santé, des cas de malnutrition, chez les enfants en particulier, mais aussi des carences chez les adultes, qui se traduisent par des problèmes de vision [voir encadré].

Nous savons déjà à quoi nous allons utiliser les fonds que va nous allouer le Secours populaire : nous allons acheter des denrées pour les distribuer aux gens qui en ont le plus besoin. Des milliers de réfugiés ont quitté la capitale [voir encadré] ; hommes, femmes et enfants. Nous les accueillons et nous partageons ce que nous avons. Cette vague de déplacés internes a donc augmenté la misère dans les zones rurales.

Quelles ont été les réalisations de la Congrégation avec le Secours populaire depuis 2021 ?

J-J. Lozama : Le Secours populaire nous a appuyés après le séisme d’une magnitude de 7,2 qui avait touché le sud du pays, en août 2021, faisant plus de 2 000 morts. Nous avions lancé un programme d’aide aux sinistrés. Nous avions assuré des distributions de denrées alimentaires et d’eau potable. Dans un second temps, nous avions fait redémarrer des activités d’élevage en offrant des cabris aux paysans. Toutes nos actions sont dirigées vers la nécessité de maintenir sur place les habitants des zones rurales. Pour cela, nous leur apportons des services dont ils ont besoin, comme la formation. Nous voulons empêcher leur départ à la capitale. Les jeunes qui le font se retrouvent à Port-au-Prince, sans famille et sans ressources. Au moins, s’ils s’y rendent après avoir été formés, ils peuvent alors exercer leur métier. C’est différent.

Une crise qui vient de loin

Des deux côtés de l’Atlantique, la presse s’intéresse à nouveau à Haïti, décrivant de nouvelles scènes de violences et de chaos. Le pays est le seul dans le monde à s’appauvrir en permanence depuis 1980 et les institutions de l’Etat haïtien ont à peu près disparu depuis le coup d’état de 2004. Aux mains de différents groupes paramilitaires, Port-au-Prince est devenue une zone de guerre alors que les ingérences étrangères sont permanentes depuis 20 ans.

Depuis le début de l’année, au moins 1500 personnes ont été assassinées (CNN, 29.03.24) par des groupes que la presse internationale baptise un peu rapidement de « gangs », alors que c’est une guerre civile qui se joue à travers des groupes paramilitaires, qui rappellent les ‘‘Tontons Macoutes’’. Si certains proviennent des bidonvilles et fonctionnent comme des groupes d’auto-défense, beaucoup de paramilitaires ont au contraire le soutien du parti au pouvoir depuis 2011, dont l’ascension a été imposée par des puissances étrangères et différents secteurs de la bourgeoisie, en l’absence de tout soutien populaire, comme le rappelle l’universitaire haïtienne et canadienne Jemima Pierre (DemocracyNow, 11.03.24 et 12.03.24).

Toutes les agences de l’ONU suivent de près la situation en Haïti, où plus de 310.000 personnes ont fui les violences de la capitale et se sont réfugiés dans des zones rurales, totalement démunies. Entre dérèglement de l’économie, explosion des prix des denrées importées et vagues de réfugiés, l’alimentation est de moins en moins accessible et la malnutrition se développe. Selon l’ONU, le manque d’accès à la nourriture et aux soins « menace de manière imminente la vie de plus de 125 000 enfants exposés à un risque de malnutrition aiguë sévère ».

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